Jean-François Chevrier aborde le thème des «relations du corps» avec humour, contre le cynisme «post-humain» et le pathos compassionnel. Il dégage deux thèmes : celui de «l'académie hors d'elle-même», et celui du «monstre» altéré sous l'effet des jeux de l'imagination ou de la perception. Son approche privilégie l'esprit de jeu, l'expérimentation, la remise en cause d'une vision du corps stable, centrée sur l'identité et l'appropriation de l'espace. Ce parti pris lui permet d'associer des œuvres historiques majeures et des travaux des années 1970 ou contemporains moins en quête d'objets que d'expériences sur l'espace, le corps et le langage.
Un entretien avec le grand médiéviste Jurgis Baltrusaitis, historien des anamorphoses et des dérèglements, ouvre le livre. Il est suivi d'un long essai inédit sur l'œuvre d'Henri Matisse, dans lequel Jean-François Chevrier propose une analyse sexuée du tracé comme emprise, et met l'accent sur l'«attraction des corps» ordonnée/désordonnée par l'artiste à partir de la verticalité du fil à plomb. Un entretien, un essai et un cahier d'images sont ensuite consacrés à l'œuvre du critique-artiste-photographe John Coplans, aux variations plastiques savantes et infinies qu'il fait subir à son propre corps, à ses jeux tragi-comiques sur la régression archaïque ou l'ambivalence sexuelle. Après cet hommage à Coplans, il s'entretient avec deux artistes majeurs de la scène des années 1970, Vito Acconci et Klaus Rinke, qui mettent leurs corps l'un à l'épreuve du langage ou de la page, l'autre à l'épreuve de l'ubiquité de l'eau.
Ces expériences trouvent un écho dans les photographies d'enfants de la rue d'Helen Levitt et dans la vision «périphérique» du corps de Marina Ballo Charmet. L'auteur consacre enfin deux essais à Raoul Hausmann : le premier décrit les étapes qui ont conduit l'artiste de ses expériences de photomontages dadaïstes à une conception de la photographie antimécaniste et anti-illusionniste, et met en relief ses recherches sur la multisensorialité ; le second se concentre sur le partage entre l'audible et le visible, mis en rapport avec la tentative de Joyce (dans Ulysses) de créer une «épopée du corps humain». Le recueil s'achève, via la cinéaste Maya Deren, par un éloge savoureux des miasmes, des démons et du «contact insolite». Le livre contient 123 images en noir et blanc.